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AFFAIRE NEEL, AUGUSTE & OLLIVIER, LOUIS
UN MEURTRE A L’ILE-AUX-CHIENS - LA VICTIME - LES MEURTRIERS
A L’AUDIENCE DU TRIBUNAL CRIMINEL - LE VERDICT - L’EXPIATION

Le crime commis fin décembre 1888 à l’Ile-aux-Chiens ne fut pas un assassinat comme la légende s’en est accréditée dans la colonie, car il n’y eut ni préméditation, ni guet-apens, mais un meurtre accompagné de vol qualifié. Voici d’ailleurs les faits tels qu’ils résultent de l’information judiciaire.

Dans la journée du lundi 31 décembre 1888 la paisible population de l’Ile-aux-Chiens était mise en émoi. Le père Coupard François, marin-pêcheur, âgé de 61 ans, célibataire, était trouvé mort dans sa cabane de pêche, le corps horriblement mutilé.

Ce vieillard avait un avant qui habitait avec lui. Si ces deux hommes avaient entre eux de fréquentes altercations, du moins ces disputes ne dégénéraient jamais en pugilat. Cependant au cours de la nuit précédente, les époux Juin, proches voisins de Coupard, entendirent un bacchanal effroyable : on chantait ! Ces bruits les tinrent éveillés une partie de la nuit. Vers 8 heures ils s’empressaient d’aller faire leurs déclarations à la police au sujet du potin qu’on avait fait à coté d’eux.

Les gendarmes Dangla et Bonnaud se rendirent immédiatement chez le père Coupard, mais à part certains dégâts insignifiants, tels qu’un bris de carreau, ne remarquaient rien d’anormal, la cabane était vide. Ils crurent ses habitants partis pour la chasse au gibier de mer. Les constatations des agents de l’autorité avaient été trop hâtives; car les dégâts étaient, au contraire, assez importants, ainsi qu’on le verra dans la suite; on peut même s’étonner qu’ils aient pu passer inaperçus aux yeux des gendarmes. Ce n’est que dans l’après-midi, vers deux heures, que deux amis à Coupard, Poirier et Foure, se rendirent chez lui pour lui emprunter une paire de bottes. Quelle ne fut pas leur surprise de voir le tambour démoli et la croisée brisée. Ayant pénètre dans la cabane et soulevé une voile de wary étendue dans un coin, ils découvraient le cadavre absolument nu du malheureux pêcheur.

Le Parquet, immédiatement prévenu, se transporta sur les lieux pour procéder aux premières constatations, en présence du docteur Camail, médecin de la localité.

Le cadavre avait été déposé entre deux coffres et tassé en boule, la tête repliée sous la poitrine et les jambes infléchies sous l’abdomen. Quand on retira le cadavre de la position où il était, un horrible spectacle glaça d’horreur les assistants. Le corps de Coupard était atrocement mutilé. Au-dessus du sein droit, trois incisions d’environ trois centimètres de longueur; trois incisions semblables existaient au dessus du sein gauche. A la gorge, la trace d’un coup de couteau qui avait pénétré jusqu’au coeur. Après ce meurtre, on s’était acharné sur la victime avec une rage concentrée. Le sternum avait été fendu dans sa partie médiane, comme pour diviser le tronc en deux parties. Le ventre, entièrement perforé, laissant échapper les intestins; dans la partie inguinale deux sections symétriques très profondes indiquaient qu’on avait voulu détacher les jambes du tronc. D’autres mutilations innommables étaient également constatées. Sans doute, le ou les meurtriers, pressés par le temps ou de crainte d'être surpris, n’avaient pu achever leur horrible boucherie. Jetant le cadavre là où il était trouvé et l’ayant recouvert d’une voile de wary, avaient pris la fuite, s’emparant de tout ce qui pouvait être emporté.

Les soupçons se portèrent naturellement sur l’avant Ollivier qui avait disparu avec l’embarcation de son patron et, suivant une supposition, assez vraisemblable avait gagné la cote voisine de Terre-Neuve. Il était donc intéressant de rechercher si ce marin avait commis le crime seul ou en compagnie de complices. Lundi soir seulement, on apprenait qu’Ollivier avait été vu, la veille, avec un individu nommé Néel et que tous deux avaient fait des stations et de nombreuses libations dans les deux cabarets de l’Ile-aux-Chiens, jusqu’a dix heures du soir. Néel, bien connu dans cette localité, demeurait à Saint-Pierre chez un nomme Ruellan où il prenait pension. Le mardi, premier janvier, la police s’informa chez ce dernier de ce était devenu son pensionnaire. Elle appris alors, non sans étonnement, que Néel était venu la veille de l’Ile-aux-Chiens vers huit heures du matin en compagnie d’un Breton dont le signalement correspondait assez exactement avec celui d’Ollivier. Mais ces deux individus étaient parties le jour même de chez Ruellan à deux heures de l’après-midi, après avoir demandé à d’autres pensionnaires de venir les aider à pousser leur wary, échoué à la pointe du Cap à l’Aigle. Néel et Ollivier avaient donc repris la mer. Avaient-ils pu gagner la cote anglaise ? C’est ce que, anxieusement, le Parquet se demandait, lorsque, M. le Procureur de la République, qui était de nouveau transporté à l’Ile-aux-Chiens pour obtenir des renseignements complémentaires, recevait la nouvelle que les meurtriers présumés du père Coupard venait d’être arrêtés chez Ruelland par l’agent de police Paul Coupard. Un fort vent d’Est et l’état de la mer n’ayant permis à ces deux marins de gagner Terre-Neuve, force leur avait été de relâcher à l’anse à Henri où ils avaient saillé leur embarcation et passé la nuit dans une cabane abandonnée. Le matin du premier janvier ils étaient revenues en ville par la route de Gueydon:Emmanuel Ruault, Percé et Chesney. Le restaurant avait été leur dernière station.

A peine arrêtés, Néel et Olliver étaient conduits sous bonne escorte sur les lieux du crime pour y être confrontes avec le cadavre de Coupard. Ils firent des aveux complets. Néel aurait frappé le premier, Ollivier n’aurait frappé qu’après, sur l’invitation de son complice. Interrogés pour savoir dans quel but ils avaient tenté de dépecer le cadavre de leur victime, ils répondirent que était pour savoir “s’il était gras; d’ailleurs ils étaient saouls perdus”.

Sur leur parcours, les meurtriers purent se rendre compte combien leur abominable forfait avait soulevé l’indignation publique Les femmes notamment en voulaient surtout à Néel, qu’une vie de désordre avait conduit jusqu’au crime.

L’instruction de cette affaire menée rapidement permettait au tribunal criminel de se réunir en session le mardi, 6 février 1889.

Les débats durèrent deux jours. Voici quelle était la composition du tribunal : M.M.Venot : Président du Conseil d’appel, Président Aphale, sous commissaire de la marine, Lallier du Coudray, aide commissaire de la marine, et quatre assesseurs, habitants notables; MM. Léoni Coste; Grezet Auguste, Hacala Charles et Humbert Léon.

M. Caperon, Procureur de la République, Chef du Service Judiciaire, p.i occupant le siège du ministère public.

Le sale d’audience est comble.

L’acte d’accusation lu par le greffier Siegfriedt, il est précédé à l’interrogatoire des accusés qui ont déclare se nommer: Néel, Joseph Auguste, né à Saint-Pierre, le 28 Mai 1860, marin-pêcheur.

Ollivier, Louis, ne à Coatraven (Côte du Nord), le 31 octobre 1863, également marin-pêcheur.

Néel et Olliver maintiennent les aveux faits au cours de l’instruction à savoir que le dimanche 31 décembre, vers dix heures, ils avaient projeté de souper chez Coupard. Rendus furieux de voir la porte du tambour barrée, ils avaient démoli cette enceinte et brisé l’unique croisée de la cabane, et pénétrant dans celle-ci se trouvèrent en face du patron d’Olliver qui, un couteau à la main prétendait défendre l’entrée de son domicile. Il y avait eu lutte entre Coupard et son avant. Pendant qu’Ollivier maintenait Coupard, Néel s’écriant “MIEUX VAUT TUER LE DIABLE QUE LE DIABLE VOUS TUE” avait frappé sur l’avant-bras de Coupard et fait tomber l’arme, l’avait ramassé et l’avait plongée, jusqu’a la garde, dans la poitrine de la victime. Le temps d’allumer une chandelle et les deux hommes penchés sur le corps de Coupard s’assuraient que le malheureux respirait encore. C’est alors que Néel dit à son camarade “TIENS ! V’LA LE COUTEAU, TAPE A TON TOUR ? Et Olliver prenant l’arme l’enfonça dans le ventre de Coupard.

Apres ce meurtre, les accusés s’acharnèrent sur le cadavre. Pendant qu’Olliver éclairait, son acolyte ouvrait le thorax avec le même couteau et attirait le Coeur a lui s’écriant “Quel gros Cœur” et fait les mutilations ci-dessus décrites. Enfin, les deux misérables, a tour de rôle, avaient taillé dans les aines pour détacher les jambes du tronc. Les meurtriers persistèrent a soutenir qu’ils n’avaient pratique ces mutilations que pour voir si Coupard était gras, se défendant d’avoir voulu le dépecer pour jeter ses restes a la mer. Ollivier prétendait que lorsqu’il frappa dans le ventre de son patron celui-ci ne bougeait plus, mais il fut démenti sur ce point par Néel qui affirma que le père Coupard, a ce moment “SOUPIRAIT A PETITS COUPS”.

Après cette scène de sauvagerie, les deux accusés après avoir soigneusement dissimulé le cadavre dans un coin de la cabane, sous une voile, songèrent a fuir espérant gagner la cote anglaise avant la découverte de leur crime; emportant tout ce qu’ils jugèrent utile pour la traversée, ils poussèrent l’embarcation de Coupard, mais comme nous l’avons vu, les vents d’Est et la grosse mer ne leur avaient pas permis de mettre leur projet a exécution, et ils s’étaient arrêtés dans la matinée du premier janvier.

Néel et Ollivier ne cessèrent d’arguer de leur état d’ivresse sinon pour excuser du moins pour atténuer l’atrocité de leur crime; Olliver garçon aux manières lourdes, au cou de taureau et dont l’intelligence parait étouffée, sous la force physique, Ollivier qui joua dans ce drame un rôle plutôt passif, presse d’expliquer pourquoi il avait obéi aveuglément à Néel qu’il connaissaient a peine tandis qu’il avait toujours déclare que Coupard avait toujours été bon pour lui, ne put donner aucune raison.

Les témoins de moralité entendus, presque tous les habitants de l’Ile-aux-Chiens fixèrent le tribunal criminel sur l’état des accusés avant le crime. Tous s’accordèrent a établir dans cette soirée du dimanche 30 décembre : Néel était entre deux vins suivant son habitude; tandis qu’Ollivier paraissait être dans son état normal.

Le Procureur de la République requit la peine capitale contre Néel et ne s’opposa pas à l’admission des circonstances atténuantes en faveur d’Olliver, Néel d’après le ministère public, ayant exercé sur Ollivier une sorte de fascination incompréhensible, voisine de l’hypnotisme.

Me Béhagel, dans une chaleureuse plaidoirie, tenta de détourner de la tête de son client la peine capitale, en faisant valoir l’état d’abjection morale dans lequel il était tombé par suite des pratiques invétérées d’alcoolisme, représentant Néel comme un être inconscient ayant perdu dans l’abus des boissons alcooliques , l’usage de ses facultés intellectuelles et ce libre arbitre qui dirige les actions humaines, mais Me Béhagel insista surtout sur le défaut de concordance qui existait d’après lui, entre le crime de vol et le meurtre, ce qui rendait passible seulement Néel de la peine des travaux forcés a perpétuité.

Le tribunal criminel se refusa à admettre l’état psychologique de Néel décrit si savamment par l’honorable défenseur, et regarda Néel comme ayant agi avec une responsabilité précise et entière. Le second argument n’eut pas plus de succès. A son tour Me Salomon fit remarquer que la culpabilité d’Ollivier était douteuse au point de vue meurtre, Coupard ayant cessé de vivre quand il avait été frappe par l’accusé.

Après une délibération assez courte le tribunal criminel rapporta un verdict affirmatif sur toutes les questions posées, avec admission de circonstances atténuantes en faveur d’Ollivier seulement. Néel était condamné e à la peine de mort et Olliver à dix ans de travaux forcés.

Ollivier s’en retirait à bon compte.

L’opinion publique, tout en respectant l’arrêt de justice, pensa néanmoins qu’il y avait trop de disproportion entre les deux peines. Si Néel méritait la peine capitale, la peine appliquée à son co-auteur n’était pas assez élevée.

Pendant la lecture de l’arrêt, Néel ne donne aucun signe d’émotion. Avec son caractère gouailleur, son mutisme à propos de sa condamnation ne fut pas sans étonner. Mais ramené à la prison il retrouva sa gaîté cynique habituelle, disant aux gendarmes : “J’AI BIEN FAIT DE MANGER MES DEUX MILLE CINQ CENT FRANCS QUI VENAIENT DE MON PERE” et à la foule qui faisait la haie sur son passage : “ET VOUS AUTRES ? QU’EST-CE QUE VOUS AVEZ À ME REGARDER, VOUS FERIEZ MIEUX DE M’APPORTER DU TABAC!”

Le 9 février, Néel se pourvoit en cassation contre l’arrêt du tribunal criminel, mais pour parer à l’éventualité du rejet de son pourvoi il formait un recours en grâce le 9 avril suivant.

Aux termes de l’article 30 de l’ordonnance organique du 18 septembre 1844, le chef de la colonie doit, en matière criminelle, ordonner en Conseil l’exécution de la peine ou prononcer le sursis lorsqu’il y a lieu de recourir a la clémence du Chef de l’Etat. Dans la circonstance il ne pouvait être question de suris puisque le pourvoi en cassation est suspensif de l’exécution de la peine, mais au cas ou le pourvoi aurait été rejeté et pour éviter des lenteurs, le Commandant de la colonie réunissait le 11 avril son conseil privé pour examiner ce recours en grâce et décider s’il y avait lieu de l’appuyer ou sur la nécessité qu’il y aurait de laisser à la justice son libre cours.

A l’unanimité le Conseil émettait l’avis que dans un but préservation sociale il n’y avait pas lieu d’appuyer le recours du condamné, l’horrible cruauté qui marquait le meurtre de Coupard excluait tout sentiment de commisération. D’autre part il importait de ne pas laisser dans le public cette croyance que la meilleure excuse à présenter devant la justice était son état d’ivresse.

D’ailleurs à ces raisons s’en ajoutait une autre qui était point un effet sans importance. Deux condamnations à mort pour assassinat prononcés en 1876 et 1886 avaient été commuées en celles des travaux forces a perpétuité (1 – Voir page.13) Depuis lors, et il faut bien le dire ces deux mesures de clémence avaient eu pour résultat d’accréditer dans la population l’idée que la peine de mort était virtuellement abolie aux îles Saint-Pierre et Miquelon, faute de pouvoir l’y faire exécuter dans les formes prescrites par le code pénal français. (2 –Voir page.13) Il convenait de dissiper cette idée. L’autorité administrative aurait dont l’obligation et le devoir d’intervenir en haut lieu pour que la justice suive son cours, si le Chef de l’Etat refusait la grâce de Néel.

Par son arrêt, en date du 12 avril, la Cour Suprême rejetait le pourvoi de Néel. Le condamné n’avait donc plus qu’attendre la décision en dernier ressort du Président de la République.

Cette décision intervint fin juillet, le recours en grâce était rejeté; la nouvelle en parvenait télégraphiquement à Saint-Pierre.

Et c’est ici le lieu de faire connaître les difficultés qu’éprouva l’autorité administrative pour assurer le cours de la justice, ainsi que les conditions dramatiques dans lesquelles Néel fut mis a mort après une agonie morale qui durait depuis six mois.

Le Gouverneur avisé du rejet du recours, demandait à Paris, par câble, l’envoi à Saint-Pierre de l’exécuteur des hautes œuvres, Deibler avec son matériel. (Louis Deibler était l’exécuteur de Paris responsable de toutes les exécutions en France de 1879 a 1899, il ne se déplaçait pas hors de la métropole, excepté pour les exécutions en Corse)

Le Département refusait ce déplacement mais invitait le Gouverneur de la Martinique d’expédier sur Saint-Pierre le matériel en question.

Saint-Pierre était avisé télégraphiquement de cette combinaison.

Le 26 juillet un nouveau télégramme annonçait le départ a cette date de la Martinique des bois de justice, mais qu’il y aurait lieu de trouver sur place un exécuteur.

Ce télégramme levait en partie, il est vrai, les difficultés que rencontrait l’exécution de Néel. Cependant trouver un exécuteur sur place n’était pas chose facile dans un petit centre ou tout le monde se préoccupe de savoir ce que son voisin pensera de lui. A l’arrivée des bois de justice, le Gouverneur comptait s’adresser aux divers corps de métier existant dans la population civile, bien qu’étant à peu près persuadé que les démarches qu’il entreprenait en ce sens se heurteraient à des refus invincibles.

Dans ce cas il ne voyait alors d’autres possibilités de trouver un exécuteur et des aides qu’en faisant appel aux hommes de bonne volonté du détachement des disciplinaires. Le capitaine Lecorgne commandant le détachement, pressenti, pensa que peut-être on pourrait obtenir de quelques-uns l’office qu’on leur demanderait en faisant luire à leurs yeux certains avantages, comme la remise du temps de service qui leur restait a accomplir et une gratification pécuniaire. On s’adresserait d’abord a ceux qui seraient prochainement libérables, et s’ils acceptaient pourraient être renvoyés en France par l’aviso transport “DRAC.”

La guillotine arrivait a Saint-Pierre le 22 août. C’était une vieille machine datant presque du début de son invention. Ne disait-on pas qu’elle avait servi a l’exécution de la malheureuse reine Marie-Antoinette ! Il n’y manquait que la plate forme avec sa demi-douzaine de marches. (La guillotine qui servit à exécuter Marie-Antoinette en 1793 n'a probablement pas ete envoyée a la Martinique. La legende populaire entourant les vieilles guillotines veut toujours leur donner une histoire exceptionelle donc il y a de nombreuses guillotines ayant servi a exécuter Louis XVI et Marie Antoinette. On ne sait pas aujourd'hui ce qu'il est advenu de ces guillotines) (L’échafaud fut éliminé par le décret du 25 Novembre 1870, donc il n'y pas de plate forme et pas de marches en 1889)

Le couperet était suspendu au sommet au moyen d’une corde passée dans une poulie. Il suffisait de dérouler rapidement cette corde du taquet qui la retenait fixée sur l’un des montants pour que l’instrument de mort accompli son œuvre.
(Ce systeme rudimentaire ne fut pas utilisé sur les guillotines en France Métropolitaine même en 1792. Il est concevable que la guillotine de la Martinique etait de fabrication locale ou bien que la tringle de declenchement avait ete cassee ou perdue.)

L’exécution du condamné fut fixée au 24 août.

Comme il s’y attendait, le Gouverneur ne trouva aucun ouvrier qualifié qui voulut bien consentir à remplir le triste office qu’on sollicitait de lui. Tous les corps métier se récusèrent.

Par l’intermédiaire du capitaine Lecorgne, il s’adressa alors aux hommes de la compagnie de discipline mais a sa grande surprise il reçut de ceux-ci un refus formel, quels que fussent les avantages qu’on leur promettait.

Il faillait cependant en finir. A qui s’adresser ? On ne savait et l’anxiété était à son comble dans les bureaux administratifs, lorsque le Procureur de la République réussit enfin à tirer tout le monde d’embarras. Il manda en son cabinet un nommé Legent, Jean-Marie, marin-pêcheur, condamné récemment à trois mois de prison pour vol. C’était un paresseux préférant marauder que de se livrer à son métier. Le Chef du Parquet lui ayant promis qu’il lui serait fait grâce de sa peine de prison et qu’il recevrait en outre une somme de 500 francs s’il consentait a remplir l’office de bourreau, Legent accepta. Il aurait comme aide son frère ultérieur Bannoch, Guillame, individu peu recommandable.

Il était temps. On était au vendredi matin de l’exécution, nous l’avons dit, devait avoir lieu le lendemain matin a l’aube. Mais avant d’y procéder il parut indispensable, afin de n’être pas pris au dépourvu au dernier moment, de s’assurer si la guillotine était en état de bon fonctionnement. Et bien l’en fit. La machine fut montée dans l’atelier des travaux. Un veau servit de victime…innocente. L’animal est décapité, mais pas complètement cependant, la tête reste suspendue à un lambeau de chair que l’on tranche au couteau. (Problème typique sur toutes les guillotines. Meyssonnier raconte dans son livre « Paroles de Bourreau » que cela arrivait fréquemment en Algérie et qu’ils avaient toujours un couteau de boucher dissimulé près de la guillotine pour « finir » le travail)

Pareil incident pouvant se produire le lendemain, Legent est invité à se prémunir d’un couteau à trancher la morue.

Le veau, dépecé, fut distribué au personnel des travaux, mais au moment de le servir il parait que nul ne voulut le goûter !

A noter que Me Béhagel, défenseur de Néel, crut de son devoir de protester auprès du Procureur de la République au sujet des conditions dans lesquelles devait être exécuté l’arrêt de justice, la charge de l’exécuteur des hautes oeuvres ne pouvant être exercée que par l’agent légalement investi dans cette fonction.

Le Parquet répondit par une fin de non recevoir basée sur le câble ministériel du 26 juillet.

Et nous voilà enfin au matin de l’exécution.

Un soleil radieux après trois semaines de brume intense va éclairer la scène tragique.

La plus grande partie de la population est sur pied.

Néel dira a son réveil au petit jour qu’il a entendu toute la nuit pas mal de gens circuler dans la rue Carpillet et causant à assez haute voix. Sa cellule, en effet, n’est séparée de cette rue que par une cour très étroite que protége un mur de trois mètres de hauteur à peine et déclare que ce bruit anormal “NE LUI DISAIT RIEN DE BON.” Il venait à peine de s’endormir lorsqu’on l’avait réveillé. Il était en effet trois heures et demi lorsque M.M. Caperon, Procureur de la République; Siegfriedt, greffier; R.P. Cadoret, désigné aumônier par le Préfet apostolique et Sigrist, concierge de la prison, pénétrèrent dans la cellule du condamné.

Très doucement, le Procureur de la République le touche à l’épaule. Néel ouvre les yeux et se dresse sur son séant. A la nouvelle qu’il n’a plus de grâce à attendre que la miséricorde divine, il répond “OH ! LA MORT NE ME FAIT PAS PEUR”’; et il ajoute : “IL Y A LONGTEMPS QUE JE SERAIS MORT SANS M. ET Mme SIGRIST. ILS ONT ETE BONS POUR MOI. JE VEUX LES REMERCIER AVANT DE MOURIR.” Le gardien de la prison fort émotionné lui dit : “MON PAUVRE NÉEL DU COURAGE”, et tout en discourant gravement sur les motifs de sa condamnation, Néel s’habille seul sans tâtonnement, sans que ses mains soient agitées du plus léger tremblement, refusant l’aide du gendarme Dangla qui se tient a l’entrée de la cellule.

Néel passe l’étroit couloir de la prison dans lequel se tiennent quelques fonctionnaires, le jeune docteur Calmette, le lieutenant de marine Brunaud et deux correspondants des journaux anglais et pénétra au greffe de la prison où il doit subir les funèbres apprêts de la dernière toilette des condamnés à mort. C’est Sigrist, aidé du gendarme Dangla qui est chargé de cette corvée. Il s’assied sur une chaise sans dossier, mais au lieu du ligotage ordinaire des bras avec des liens on lui passé une chemise de force aux extrémités des manches de laquelle sont fixes des lacets, seules les jambes sont attachées avec une légère corde.

Pendant ces apprêts, Néel accepte d’abord un verre de vin, puis un bol de thé chaud qu’il déguste a petites gorgées. Avec un sang froid qui confond tous les assistants et une liberté d’esprit vraiment innouie dans des circonstances pareilles, il passe en revue tous les événements de sa vie de marin. Entre autre réflexions, il fait celle-ci : “QUI AURAIT CRU QUE LA TERRE M’AURAIT MOI QUI AURAIT DU PERIR CENT FOIS EN MER.”

Laissé seul avec l’aumônier, Néel reçoit les secours de la religion.

Au moment de monter avec le R.P. Cadoret dans le cabriolé fermé qui doit le conduire au lieu du supplice, Néel qui est un enragé chiqueur de tabac demande au gardien de lui passer une chique, la dernière, Sigrist qui en conservait pour la consommation de son prisonnier lui en met dans la bouche.

Enfin à 4 heures 30 le véhicule s’ébranle escorté par deux brigades de gendarmerie pied, commandées par le maréchal-des-logis Pittolat; le cortège emprunte les rues Truguet et Gervais soit un parcours d’environ 669 mètres avant d’arriver a la place de l’Amiral Courbet au centre de laquelle est montée la guillotine. Ce trajet demande plus de vingt minutes, car le cheval va au pas. Une foule assez compacte parmi laquelle on remarqua quelques femmes se tient silencieusement, maintenu a distance par un cordon de militaires de la compagnie de discipline.

Le condamné descend de voiture et d’un pas ferme, s’achemine vers la guillotine dont la vue ne parvient pas à amollir le courage. Reconnaissant Legent il lui reproche le redoutable service qu’on attend de lui, puis de la plate-forme (En 1889 les places publiques A Saint-Pierre n'etaient pas pavees, on a donc construit une plate-forme basse en bois pour dresser la guillotine.) , d’un pied de hauteur ou il est monté, s’adressant a la foule d’une voix forte : “QUE MON EXEMPLE SERT DE LEÇON, dit-il; J’AI TUE ON VA ME TUER, NE FAITES PAS COMME MOI.” Il embrasse le crucifix que lui présente l’aumônier et lui demande d’accompagner son cadavre au cimetière, ne voulant pas, dit-il “ETRE ENTERRE COMME UN CHIEN”.

Pendant que le R.P. Cadoret s’agenouille au pied de l’échafaud (Souvent les auteurs font usage du mot « échafaud » au lieu du mot « guillotine » même après l’élimination de la plate-forme en 1870) les exécuteurs s’emparent de Néel qui ne se débat pas; ils mettent un temps infini a l’attacher sur la fatale bascule avec les courroies dont elle est munie. Enfin le condamné est basculé et enfourné sous le couperet, la lunette rabattue, mais alors se produisit un moment poignant, horrifiant: les exécuteurs perdent la tête jetant des regards affolés de tous cotes, principalement sur le groupe des officiels qui se trouve a quelque distance de la guillotine ils semblent solliciter un conseil, un ordre ce qu’il faut faire, ne comprenant rien aux gestes désespérés du Procureur de la République, leur faisant signe de dérouler la corde qui retient le couperet.

Pendant quelques minutes interminables qui semblent des siècles, Néel, lui, crie à Legent : “SURTOUT NE MANQUE PAS!”. Il joue des épaules et du cou pour tenter de soulever la lunette, pendant que le maréchal des logis Pittolat l’implore de se tenir tranquille et de baisser la tête. Néel obéit et, à ce moment, crache sa chique dans le seau destiné à recevoir son chef.

Enfin! Enfin! L’exécuteur Legent a repris son sang froid et lâche la corde, le couperet, tout en brinquebalant dans la rainure des montants, d’abat lourdement. Justice est faite! Comme on l’avait prévu la tête du décapité reste suspendu sur le bord du récipient, Legent d’un coup de couteau tranche l’adhérence.

Au lieu d’être placé dans un endroit discret, le cercueil destiné a recevoir les restes du supplicié avait été, au contraire, disposé devant la guillotine de sorte que le malheureux Néel pu le contempler durant sa terrible agonie.

Après cette dramatique exécution, la foule s’écoula silencieusement, fortement impressionnée par ces incidents macabres. Le Procureur de la République, Caperon, sous le coup d’une véritable émotion, pleure à chaudes larmes et confie à celui qui écrit ces mots que jamais plus il ne requérra la peine de mort.

Le docteur Calmette lui-même qui avait demandé le transport à l’hôpital du cadavre pour études anatomiques renonça à son projet. Néel est donc conduit directement a sa dernière demeure, suivi par le R.P. Cadoret. (D’autres sources affirment que le docteur Calmette a bien procédé à ces études anatomiques et qu’il a préservé la tête momifiée de Néel pendant de nombreuses années. Il existe même une photo de « la tête de Néel » mais son authenticité ne peut pas en être confirmé)

Ce même jour dans la matinée M. Venet, magistrat, qui avait prononcé la peine de mort contre Néel fit remettre au Préfet apostolique par l’auteur de ce récit, une somme d’argent pour la célébration de messes basses a l’intention de l’âme du condamné.

L'exécution de Néel eut un épilogue singulier et assez suggestif; nous le rapportons sans commentaires.

L’opinion publique reprouva à un tel point la charge que Legent avait acceptée que cet individu, cependant marié et père de deux enfants en bas age, sollicita en vain du travail, personne ne voulu l’employer. La campagne de pêche étant à peu près terminée, Legent se voyait contraint de rentrer en France. Il fut rapatrié gratuitement avec sa famille et son demi-frère Bannoch sur le transport de guerre “DRAC”, le 17 septembre suivant.

Faisant toutefois prévue d’une certain honnêteté, il voulu avant de quitter la colonie régler ses dettes avec les 500 francs reçus pour la tâche qu’il avait remplie. Mais aucun de ses créanciers ne consentit à recevoir en paiement “le prix de sang”, et acquittèrent purement et simplement les notes que leur débiteur leur présenta.

Oh ! Inconscience humaine ! Ce bon peuple de Saint-Pierre ne désigne plus, depuis cette époque la place de l'Amiral Courbet que “PLACE NEEL”.

C’EST AINSI QUE L’ON FAIT PASSER UN CRIMINEL A LA PROSPERITE.

Saint-Pierre, le 19 février 1938.

Emile SASCO

(1) Ressource, Célestin, marin-pêcheur français condamné à mort, le 16 juin 1876, comme convaincu d’avoir au mois d’octobre 1873, a bord d’un bateau anglais naviguant entre les îles Saint-Pierre et Miquelon et Terre-Neuve volontairement donné la mort à coups de casse-tête aux nommés Farrell, Oswen; Farrell, Daniel; et Harvey Shon avec la circonstance de concomitance de ces meurtres entre eux et de préméditation en ce qui concerne celui Harvey.

Zuzuarreguy Carlos, sujet espagnol, condamné à mort le 26 août 1886 comme convaincu d’avoir à Saint-Pierre le 30 juillet précèdent, avec préméditation tué, en le décapitant d’un coup de hache de charpentier, Stanislas Coste, son camarade de travail, alors que ce malheureux, agenouillé et la tête baissée, coupait du menu bois.

(2) Il est avéré que ce furent, à l’époque de ces crimes, des considérations d’ordre matériel qui s’opposèrent à l’exécution des deux assassins. En effet, la situation des condamnés se serait aggravée de ce fait qu’il n’y avait ni guillotine, ni exécuteur des hautes oeuvres dans la colonie, que par conséquent il aurait fallu un temps nécessairement long pour que la justice suive son cours prolongeant ainsi inhumainement les angoisses de ces condamnés, si peu intéressant fussent-ils.

C’est dans ces conditions que le Conseil privé en signalant ces circonstances au Chef de l’Etat décidait de s’en remettre entièrement à sa sagesse.

(3) Annotations en rouge ajoutées au texte original par Michael (BoisdeJustice) en Juin 2008